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LA BONNE FI-FILLE À SON PAPA OU LES JOIES DE L’ANTHROPOMORPHISME

Les joies de l’anthropomorphisme.

Pire que ton beau-frère qui s’extasie devant l’affreux gribouillis de son affreux gamin de quatre ans qu’il s’est donné la peine d’encadrer (l’affreux gribouillis, pas l’affreux gamin…) et qui t’incite à pousser des grands « aaaah » et des grands « ohhh » admiratifs.

Pire que ta belle-sœur qui s’extasie devant le premier caca dans le pot de sa progéniture et qui te gratifie de l’envoi d’une photo du dit-pot, plein, avec pour tout commentaire un émoji « caca qui rigole ». Message auquel tu es prié de répondre avec l’émoji « mains qui applaudissent »  voire d’appeler immédiatement pour en savoir plus. Sur l’odeur, la consistance et le temps de démoulage.

Pire que les parents du petit Kévin qui t’expliquent que le fruit de leurs entrailles, âgé de deux ans est surdoué. Alors que toi tu viens clairement de le voir bouffer goulûment une grosse poignée de sable avant de l’entendre hurler « c’est pas gâteau au chocolat ! » Bah non c’est pas « gâteau au chocolat » le surdoué, c’est du sable, ça me paraissait évident.

Pire donc que ces parents de tout poils réunis, j’ai nommé les maîtres. Cette race de propriétaire canin, de préférence de sexe masculin et sans enfant. Qui te parlent de leur chien. De préférence femelle si le maître est un mâle. Qui te parlent de leur chienne donc, comme d’un être humain qui se situerait sur l’arbre généalogique du maître à mi-chemin entre sa femme et sa fille. La chienne est d’ailleurs très souvent appelée « la bonne fifille à son papa ». Ce qui est tout de même préférable à « la bonne fefemme à son maîmaître ». Mais ça n’en fait pas moins gravement saigner mon tympan fragile.

J’ai donc été récemment la « témouine » privilégiée d’un pan de la vie d’un couple « maître-chienne ». Rien à voir avec les soirées échangistes à tendance BDSM que j’ai pu fréquenter dans ma jeunesse. Non, je parle ici d’une vraie chienne, la femelle du chien, lui-même issu d’une longue lignée de loups, plus ou moins domestiqués et plus ou moins mélangés. La chienne de club libertin, quant à elle, est plutôt issue d’une longue lignée de chimpanzés. Et si elle a en commun d’être également plus ou moins domestiquée et plus ou moins mélangée, nous la trouvons néanmoins plus souvent tenue en laisse que l’animal. Notamment sur les plages du Cap d’Agde, qui ne lui sont pas interdites.

Bref, la chienne dont il est question ici s’avère donc être une femelle berger belge, de type Malinois. Pour celles et ceux qui ne sauraient pas à quoi ressemble la bête, je dirais que ce qui s’en rapproche le plus c’est le berger allemand. Le type de chien qui te pousse à traverser la rue avant qu’il arrive à ta hauteur, non pas pour trouver du travail mais tout simplement parce que tu es une adulte saine d’esprit et peu encline à te suicider. En tout cas pas avant d’avoir reçu et essayé ce vibromasseur douze modes de vibration avec embouts interchangeables commandé la semaine dernière sur les conseils de ta voisine que tu trouvais particulièrement guillerette depuis quelques temps.

Mais je m’égare. Et revenons-en au « maître-papa » de l’animal que je rencontrais pour la première fois et qui, pour diverses raisons, allait m’accueillir chez lui pour quelques jours. Il n’a pas hésité à me prévenir, au moment de l’apéro que nous prenions au restaurant, avec une sorte de fierté dans la voix que Biscuite (le prénom a été volontairement modifié pour préserver l’anonymat des protagonistes de cette histoire) était hyper jalouse et protectrice avec lui. Chouette. J’ai appris aussi, entre deux cacahuètes, des choses passionnantes au sujet de Biscuite du type comment ses oreilles se dressent en promenade, la dépression dans laquelle elle est tombée quand elle a perdu son jouet préféré et les détails de son actuelle infection urinaire. J’ai également été informée que la bête ne supportait pas de rester seule plus de quelques heures. Détail qui ne m’a pas paru pouvoir avoir une quelconque influence sur ma vie jusqu’au moment où j’ai voulu commander un dessert. Malheureusement pour moi, il était temps de rentrer pour sortir Biscuite. « Oui mais moi je n’ai pas mangé de pain pour garder une petite place pour le dessert. Hein ? T’as des fruits chez toi ? Cool ! J’hésitais entre la crème brûlée à la vanille de Madagascar et le moelleux au chocolat servi sur son lit de caramel au beurre salé mais si tu as une demie pomme au frigo alors c’est cool. » Remarque qu’en me remémorant l’histoire de la colonisation de l’urine canine par les bactéries infectieuses je ne n’étais plus certaine d’avoir envie d’un dessert.

Me voilà donc prête, malgré moi et ayant économisé le prix du dessert, pour la rencontre avec l’animal, que le maître semble impatient de me présenter. Bête qui est déjà en train d’aboyer alors que tu n’as ouvert ni le volet de la porte, ni la porte qui vous séparent. Donc, la chienne, tu lui es déjà antipathique, volets fermés. Pas de bol. Tu jettes un bref regard autour de toi, aucun hôtel à l’horizon. Bon. Et puis la porte s’ouvre et Biscuite redouble d’énergie pour te faire comprendre qu’entre elle et toi c’est pas toi qui va gagner. Elle te tourne autour en ayant l’air de vouloir concourir aux J.O. canins, épreuve : saut en hauteur. Et elle grogne en dévoilant une magnifique rangée de dents de toute sorte, dont la plupart ont pour vocation de déchiqueter, dépecer, broyer, taillader, lacérer, bref de mettre en charpie. Je ne suis pas spécialiste du langage des canidés mais je ne suis pas persuadée que cette chienne me souhaitait la bienvenue.

J’essaye donc de lui faire comprendre que je ne suis pas de la nourriture potentielle. En faisant la statue. Je n’ai pas trouvé d’autre option. Je me suis littéralement figée, incapable d’aucun mouvement et tandis que la danse canine d’accueil continue, j’entends cette voix du maître, mi-amusé parce que c’est toujours virilement amusant qu’une femme ait peur de son molosse (je parle bien là de sa chienne, pas de mauvais esprit… D’autant que lorsque l’homme a besoin d’exprimer sa puissance au travers d’une bestiole comme ça, ça interroge sur la taille et la performance de son molosse… Bref…), j’entends donc cette voix mi-amusée mais surtout mi-excédée « parce qu’elle n’a jamais mordu personne ». Tant mieux mais il y a un début à tout : « rentre fais comme si elle n’était pas là elle va se calmer. » Sous-entendu quand même que c’est un peu de ma faute si elle ne se calme pas. Mais j’aimerais tellement te croire. Seulement ça fait maintenant deux-cent-douze fois que tu lui as dit « Biscuite arrête », « Biscuite couchée » « Biscuite viens-là » « Biscuite tais-toi » « Biscuite assise »  et que Biscuite a clairement l’air d’avoir un autre projet que celui d’écouter. À la décharge de Biscuite, l’odeur de peur qui émane de ma personne est en train de la rendre folle. A tous les coups, elle va finir par prendre peur à son tour et me considérer comme un danger potentiel à sa survie, sans trop savoir pourquoi. Je vais donc finir ma vie dans l’estomac d’un animal qui dira plus tard avec mon gros orteil sortant de sa gueule , «Wouf, Monsieur le Commissaire, wouf-wouf, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, je me suis sentie agressée par cette odeur de peur, wouf, c’était de la légitime défense, beurp… » Tandis que son maitre témoignera « c’était une chienne si agréable, qui n’avait jamais fait de mal à personne, qui disait toujours bonjour, c’est incompréhensible, incompréhensible… »

Mais pour le moment je suis encore tétanisée devant la maison. Je sais pertinemment que je dois passer à l’étape suivante, à savoir : rentrer chez Biscuite. Qui rappelons-le ne m’a toujours pas invitée à le faire. Je cours enfin me réfugier un peu maladroitement dans la chambre qui m’est réservée et décide de ne plus jamais en ressortir. Je me dis quand même que ces quelques jours passés enfermée dans ma chambre risquent d’être un poil longuet. Ce n’était pas exactement mon projet. Tant pis je regarderais les photos de la plage sur internet. La chienne s’est calmée, il faut que j’aille pisser, je traverse le salon en rasant les murs en me répétant « fais comme si elle n’était pas là, fais comme si elle n’était pas là » avant de m’enfermer dans les toilettes. De justesse. « Wouf ! Wouf ! » Je lui crie à travers la porte « Je ne suis pas là ! » « Wouf ! » « C’est pas moi ! »  « Wouf ! » Fin du dialogue.

Le problème c’est d’avoir l’impression qu’à chaque fois que je croise cet animal il ne me reconnait pas. C’est comme si tous les matins au réveil, tu te mettais à hurler en voyant ton mec de son côté du lit, que tu le castagnais à grands coups de lampe de chevet tout en essayant d’attraper ton portable pour prévenir la police qu’un inconnu s’est introduit la nuit dans ton lit et que l’ayant désormais menotté, tu attends les secours. Je ne suis pas certaine que le mec en question continue à te fréquenter assidûment ! Mais moi je suis momentanément contrainte de vivre avec un tel individu au logiciel de reconnaissance faciale totalement défectueux.

Sauf que ma peur commence vraiment à agacer mon hôte. Et pour me prouver que je n’ai rien à craindre, il se met à chahuter avec l’animal en mode « c’est kiki la gentille chiéchienne à son papa », le tout dans des bruits de bave et de succion tantôt canins, tantôt humains. Visiblement pas tellement angoissé à l’idée que je sois en train de le regarder quasiment rouler des pelles à sa chienne. Je finis par monter le volume sonore de la musique pour ne pas entendre ça comme je le ferais dans un hôtel miteux, si une cloison trop fine me séparait d’un couple copulant trop bruyamment.

Je passerai sur ce douloureux moment où après avoir passé une demie-heure à préparer une pizza pour nourrir mon hôte, je la pose sur la table du salon afin d’avoir les mains libres pour allumer le four… Il s’est passé une demie-seconde. Une demie seconde et un grand « slurp » plus tard je pouvais ranger directement le plat à pizza dans l’armoire tellement il brillait. Sur ce coup là, le maître était furieux ! Après Biscuite ? Que nenni ! Après moi ! Parce qu’à cause de moi Biscuite allait être constipée. D’ailleurs, effectivement Biscuite a été constipée. Moi ça m’a donné envie de refaire des pizzas et de les poser à nouveau sur la table du salon avant d’allumer le four, et ce jusqu’au fécanome de la bête. Pour mémoire, le fécanome est un bouchon de matière fécale qui se forme dans le rectum de l’ours qui hiberne. Ou dans le cul de la chienne qui bouffe trop de pizzas. C’est la raison pour laquelle l’ours au réveil de l’hibernation n’est pas à prendre avec des pincettes. Il ne faut pas se mentir, le bouchon de caca, ça peut rendre un peu grognon. 

Je passerai aussi sur ce moment pénible où j’ai dû faire un effort surhumain pour comprendre la situation : « Oui, oui je suis prête. Hein ? Tu me rejoins dehors dans cinq minutes ? Bah non je t’attends je ne suis pas à cinq minutes près. Hein ? Tu ne sors pas en même temps que moi parce que Biscuite ne supporterait de te voir partir avec une autre qu’elle ? Ahahahahahhahaha ! Hein ? Tu ne plaisantes pas ? Ah ! Tu lui mets de la musique pour lui faire avaler la pilule de ton départ ? Euh… Oui t’as raison je ne peux pas comprendre : je n’ai pas chien. »

Je passerai également sur cet humiliant moment où j’étais assise à l’arrière du véhicule sur la route menant à l’aéroport. Mon mec s’est retourné un peu sans raison ou juste pour me faire un sourire et le maître de la chienne, derrière son volant et sans aucune malice lui assène un : « bah tu vois moi c’est pareil avec Biscuite quand on fait de la route, je la mets toujours à l’arrière et quand je ne l’entends pas d’un moment, je m’inquiète et je me retourne pour vérifier que tout va bien. » Je le répète cela a été dit sans aucune malice. C’est bien le drame. Si ça avait été énoncé sur le ton de la blague, j’aurais trouvé ça lourd, mais bon, des blagues lourdes sexistes et misogynes quand tu es une femme tu es habituée, tu finis par ne même plus y faire attention. Mais là, ça été formulé pour être agréable… Consternation.  

Mais aéroport et soulagement en vue. Me voilà donc rentrée chez moi saine et sauve. Atterrée mais saine et sauve. Sans rancune Biscuite. Et comme je l’ai promis à ton papa, je serai présente le mois prochain pour assister à ta première communion. Bisous, wouf, wouf, #merci de m’avoir laissée repartir avec tous mes membres.

Édit : quand sur la  route du retour, tu tombes sur un article titrant « une fillette de deux ans égorgée par le chien de la famille : un berger belge ». Faire gloups et se féliciter de s’être méfiée…

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