
Et oui, comme tous les ans à l’approche des fêtes de fin d’année reviennent les sempiternelles dindes. On les observe, on les compare, on envisage leurs cuisses appétissantes, on les espère pas trop sèches, on rêve de les arroser régulièrement, on les imagine fièrement exhibées sur la table de la cuisine les pattes attachées et prêtes à se faire farcir. Bref, les concurrentes « Miss France » se préparent à nouveau à assumer ce regain d’intérêt annuel à leur égard.
Et si ce concours perdure en France, c’est que nous sommes très à cheval sur la qualité de nos volailles. Notamment en matière de traçabilité puisque l’étiquetage de la dinde rappelant sa provenance est obligatoire. La compétition est féroce et la course au titre de « Dinde France » impitoyable car il s’agit de mettre en concurrence les plus belles dindes de chaque région. Sachant que seule l’une d’entre elle sera LA « Dinde Label Rouge », seule l’une d’entre elles sera sacrée « Dinde des Dindes » et pourra concourir au titre de « Dinde Monde » ou « Dinde Univers ».
En général c’est la métaphore bovine version concours agricole qui revient. Ce qui m’a toujours plus ou moins étonnée parce que lorsque je traite une femme de grosse vache, elle a rarement le physique d’une Miss. Quand je trouve que la dame aux impôts derrière son bureau étriqué est une vraie peau de vache, elle a rarement le physique d’une Miss. Et lorsque, devant le Monument à la République, je hurle « mort aux vaches », les vaches en question ont rarement le physique d’une Miss. Bref, là où je suis emballée par la comparaison avec le concours agricole, je le suis beaucoup moins concernant le choix de l’animal.
J’ai plutôt trouvé quelques similitudes avec le concours canin. Puisque à l’instar du chien ou de la chienne de concours, il faut que notre Miss de concours soit bien élevée. C’est le minimum. C’est même indispensable pour le bon déroulement du show. Que dirions-nous si à la question enthousiaste d’un Jean-Pierre Foucault (vous savez, le dindonnier libidineux) du style « Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grande ? » la Miss répondait « te mettre ton micro dans le cul et le pied de micro qui va avec », ça ne serait pas « très bien élevé » et risquerait de jeter un froid sur la cérémonie, convenons-en.
À l’instar du chien ou de la chienne de concours, la Miss de concours doit savoir se tenir droite, immobile, prouver qu’elle est capable de marcher à différentes allures, elle ne doit pas avoir peur de la foule, être capable d’une excellente sociabilisation et obéir parfaitement à son maître. Mais la comparaison s’arrête là. Puisque le concours canin est riche en diversité canine : du minuscule chihuahua à poil court à l’immense chien de montagne des Pyrénées, du bouledogue anglais à la joue tombante à l’élégant et puissant doberman, du caniche frisé au molossoïde boxer : le chien ou la chienne avachi·e devant la retransmission d’un concours canin télévisuel se sent représenté·e d’une façon ou d’une autre. Ce qui, avouons-le, n’est pas le cas de notre concours de Dindes.
Puisque lorsque je regarde le fameux concours de beauté, affalée sur mon sofa, dans mon pyjama en pilou tout bouloché, ma culotte de cheval bien au chaud et mon bout de salade entre les dents à côté de mon mec, dont l’inscription sur son t-shirt « Tournoi de pétanque 1998 Saint-Foulon du Rhône » est au trois quart effacée ET qu’ensemble nous retrouvons un moment de complicité perdue en se foutant allègrement de la gueule des moindres défauts des unes et des autres (oui je sais, ce n’est pas trop « sororité attitude » !) en s’empiffrant de Pringles goût oignon/camembert (ce qui n’est pas très « healthly attitude »), je ne me sens pas vraiment représentée.
Il n’est proposé à reluquer que de la grande dinde. Et si moi j’aime les petites dindes, hein ? Si mon kiffe à moi c’est la mini-dinde… Si je fantasme sur une dinde que je peux emporter partout sous mon bras, hein ? Que nenni. Pour être belle en France en 2020 il faut mesurer un mètre soixante-dix. C’est dans le règlement. Moins d’un mètre soixante-dix tu dégages, t’es moche et tu pues. Et non ce n’est pas parce que je mesure un mètre soixante-neuf que ça m’énerve. Même si j’ai conscience que je suis à un tout petit centimètre de pouvoir accéder à la beauté. Mais non la nature en a décidé autrement pour moi. Un centimètre. Dans certaines circonstances, un centimètre ce n’est pas rien, mais là, à cause de ce maudit centimètre le diadème m’échappe… Pourtant je suis certaine qu’il se serait parfaitement accordé avec mon pyjama en pilou.
Donc la dinde doit mesurer un mètre soixante-dix. Être mince et élancée. Au-delà de la taille trente-huit , se tourner vers l’obscur concours « Grosses Dindes ».
La dinde idéale porte les cheveux longs. Naturellement. En signe de sa féminité. Elle sourit. Puisque la femme n’est que douceur et gentillesse comme chacun sait. On n’a jamais vu une Miss France tirer la gueule le jour de son sacre. Et à l’occasion, elle glousse.
L’âge de la dinde ne doit pas dépasser vingt-quatre ans. Ça c’est dans le règlement. Après elle doit être bonne pour l’abattoir j’imagine. Ou il doit y avoir un concours « Vieille Dinde » pour celles qu’on n’a pas abattues et qui voudraient se recycler. T’es belle de dix-huit à vingt-quatre ans. Point. Avant aussi mais c’est pas bien légal de trouver trop à son goût une jeune dinde de treize ans. Ni un jeune dindon d’ailleurs.
La dinde se doit également d’être une dinde célibataire. Il parait que c’est une question de disponibilités. L’année d’une Miss est très chargée avec toutes ces foires au boudin à honorer, ce n’est pas compatible avec une vie de famille. Alors déjà : n’est-ce pas à elle d’en juger ? Et ensuite admettons la bonne foi de l’argument pour, je cite : « célibataire, non pacsée, non mariée, pas d’enfant ». Ok, je veux bien laisser le bénéfice du doute. Mais pour, je cite à nouveau : « pas divorcée » et « pas veuve » ??? Vous conviendrez que l’argument de l’attache familiale devient quelque peu fallacieux. Si on rajoute à l’équation : pas de photos dénudées, pas de tatouages, pas de chirurgie esthétique, pas de piercings, pas de clopes et pas d’alcool en public, j’en conclus que la dinde doit donner l’image d’une jeune vierge immaculée, pure et soumise. Alors qu’on la fait défiler à moitié à poil dans des poses plus ou moins lascives suggérant qu’elle est désormais prête à se faire fourrer.
Donc on te vend une trentaine de vierges. C’est moins que mille évidemment. Mais c’est un bon début. Trente vierges qui défilent en tenue régionale. En tenue régionale… On se croirait à la remise des prix d’un obscur concours de films pornos amateur : « Et cette année encore, nous récompensons le film francomtois Touche-moi la morteau, t’auras de la concoillote qui coiffe au poteau la production alsacienne Défonce-moi le Koupfklof, je te lècherai la flamenkuche. »
Et huit millions de téléspectateurs et téléspectatrices se rincent l’œil en toute légitimité. Mais surtout pas de photos dénudées ! Et tant pis si c’est pour participer à une campagne de sensibilisation du cancer du sein. Ah bah non, ça, ça fait pute. Alors que rouler du cul à moitié à poil à une heure de grande écoute pour inciter le chaland à voter pour toi afin de repartir avec des bijoux, du maquillage et des billets d’avion à l’oeil, ça, ça va, ça fait pas pute.
Cela dit, je ne comprends pas bien comment une minette vierge de vingt ans peut faire fantasmer. Ça doit être d’un ennui au lit une vierge. Ce n’est pas pour prêcher pour ma paroisse, mais à mon avis, rien ne vaut une femme mature, légèrement gironde qui n’a pas froid aux yeux et qui s’est fait un devoir d’expérimenter à peu près tout ce qui était possible d’expérimenter en la matière. Si cette femme t’intéresse, n’hésite pas à me contacter ! (C’est de l’humour, hein ? Merci messieurs de garder pour vous vos « selfbites » (selfie de la bite) et autres horreurs phalliques).
Moi je dis qu’il faut arrêter de mettre les femmes en concurrence. Il faut cesser que les femmes se voient comme des ennemies. Parce que si on se demande à qui profite le crime, hein ? Si on se demande à qui bénéficie la rivalité féminine ? On trouve que c’est, ô surprise, le patriarcat le grand gagnant de l’histoire. Alors évidemment je vous entends déjà me dire mais « Mister France » existe aussi gnagnagni gnagnagna. Oui « Mister France » existe mais il est beaucoup plus confidentiel, n’a été diffusé qu’une seule fois à heure de grande écoute en 2003, a été annulé et reporté de nombreuses fois bref ces deux concours ne connaissent pas le même traitement. De toute façon, hommes ou femmes, la coopération me semble une bien meilleure voie pour l’évolution que la compétition.
Mais bien sûr que l’on a encore le droit de rêver ! Seulement si l’on considère que les Miss font partie d’un système qui rappelle sans cesse aux femmes combien il faut être jeune et mince pour rester dans le game du désir masculin ; si l’on considère que les Miss s’inscrivent dans une stratégie d’objectivation de la femme au côté de la publicité, du cinéma et de la presse… Tout ce beau monde majoritairement dirigé par… des hommes. Pardonnez mon manque de légèreté mais je me demande si l’être humain n’aurait pas intérêt à poursuivre d’autres rêves.
Même si certain·es défendent encore l’idée qu’il s’agit une tradition « glamour et sympathique » dont nous aurions bien besoin en ces temps moroses, j’ai juste envie de leur rappeler qu’au nom de la tradition des jeunes filles pré-pubères sont mariées de force à de vieux monsieurs plus ou moins riches en Inde et ailleurs, qu’au nom de la tradition des jeunes filles sont gavées comme des oies pour répondre aux critères de beauté de l’obésité en Mauritanie, qu’au nom de la tradition des mères elles-mêmes excisées dans des conditions épouvantables continuent à exciser leurs petites filles un peu partout en Afrique…
Mais je m’en voudrais de gâcher l’esprit de Noël avec mes considérations féministes et comme vous sans doute, j’ai hâte de me retrouver devant mon écran le dix-neuf décembre et regarder Jean-Pierre Foucault donner une bonne tape sur la croupe de la gagnante pour la féliciter avant de l’emmener à la saillie. Sans, pour ce faire, avoir oublié d’appeler un ami à la rescousse.
Alors Vive Noël et Vive La Dinde !
2 réponses sur “LES DINDES DE NOËL”