LES DANGERS DE LA TARTE AUX POMMES

Les dangers de la tarte aux pommes.

Il y a quinze jours, Guillaume lance à la cantonade une invitation à dîner que j’attrape au vol en annonçant avec une pointe de fierté dans la voix : « Je m’occupe du dessert ! »

Quinze jours moins une heure plus tard, quasiment au moment de décoller, je marmonne piteusement : « Putain la tarte aux pommes ! » J’ouvre machinalement le frigo. Je ne sais pas ce que j’espère : la dernière fois que j’ai fait des courses c’était dans un Félix Potin.

Malgré cela je découvre avec bonheur que je suis l’heureuse propriétaire d’une pâte à tarte feuilletée qui se pèle les miches dans le congélateur depuis des lustres. Si j’ajoute à cela trois pommes qui vieillissent sereinement au fond d’un saladier, ni une ni deux j’opte pour la confection d’une tarte aux fruits défendus. 

Mais ce n’est pas de la symbolique de la pomme dont il va être question aujourd’hui. Même s’il serait sans doute passionnant d’évoquer les souvenirs de tartes aux fruits de notre enfance. Cette époque qui nous rend si nostalgique et durant laquelle mamie pétrissait elle-même la pâte, le tablier plein de farine, après avoir mouché une douzaine de morveux, houspillé le laitier et préparé pendant quarante ans, midi et soir la soupe du papy.  Cette époque où les enfants grimpaient dans les arbres pour cueillir eux-mêmes les pommes ou les abricots sans qu’un géniteur affolé se précipite pour hurler « Attention, Gaspard tu vas te faire mal ! Louise descend de là tout de suite, on voit ta culotte ! »

Je ne me saisirais pas non plus de cette occasion pour évoquer cette sordide histoire de pomme empoisonnée qu’une certaine Blanche Neige aurait croquée. Même si l’entourage de la jeune femme constitué de sept phallus sur pattes à bonnet de nuit peut laisser perplexe. De la verge enrhumée à la biroute narcoleptique en passant par le zob grognon, ces quéquettes restent heureusement inoffensives puisqu’elles ne tentent jamais rien de sexuel à l’égard de la belle. Ils forment autour d’elle une sorte de gang-bang d’impuissants qui se contentent d’une relation platonique. Contrairement au Prince Charmant qui lui profitera de la situation pour se carrer dans l’oignon le consentement de la dame avant de l’embrasser. Goulûment ou pas, l’histoire ne le dit pas. Mais c’est quand même à la suite du baiser qu’ils eurent beaucoup d’enfants. On est donc en droit d’imaginer que Monsieur le Prince a mis la langue. Et pas que la langue.

Mais tout cela m’éloigne de mon propos initial puisque j’ambitionnais d’évoquer le désastre environnemental de la tarte aux pommes. Alors soyons clair·es, ma tarte aux pommes, à elle seule, ne porte pas l’entière responsabilité de ce désastre. Cependant si le monde entier se met à cuisiner une tarte aux pommes à la moindre invitation à dîner, nous courons à la catastrophe. D’autant que le constat est sans appel : si tu ne veux pas ravager la planète, il va falloir faire toi-même ta pâte. Parce que question pâte industrielle, si la plupart d’entre elles, malgré leur appellation « feuilletée » ne contiennent pas de beurre (ce qui devrait pousser Pierre Hermé à se faire Hara-Kiri à grand coup de macarons) certaines pâtes contiennent en revanche de l’huile de palme. Alors si tu optes pour ce produit à base d’huile de palme, autant égorger un orang-outan à mains nues dans ton salon devant tes enfants qui jouent au Uno (et s’égorgent donc les uns les autres avec le côté tranchant des cartes plus quatre). D’autres contiennent des concentrés de fruits et légumes, des tartes déjà garnies somme toute, mais de carottes et de citrons, ce qui n’était, à priori, pas ton projet. À toi donc la pâte faite maison. Tu as pris une journée de congé parce que tu sais que tu vas devoir la plier (la pâte) dans tous les sens pendant douze heures. Et oui le fameux « feuilleté » de « pâte feuilletée » c’est ça : tu plies, t’attends une heure, t’étales, tu plies, t’attends une heure, t’étales, tu plies, t’attends plus, tu jettes et tu files à la boulangerie du coin acheter une tarte aux pommes. Mais si tu choisis de persévérer dans cette voie de la pâte maison malgré mes avertissements, si la planète et les orang-outangs te remercieront, tu apprendras en revanche, à tes dépens, que bien que tu aies tout bien fait comme il dit Christophe Felder dans son livre, ta pâte sera, hélas, ou fadasse, ou molasse ou filasse et dans tous les cas certainement dégueulasse.

Pour te consoler de cet échec cuisant, car oui il le sera, cuisant, pense que le blé est la quatrième culture la plus consommatrice de pesticides au monde. Le céréalier d’aujourd’hui doit se sentir comme un boulimique dans un restaurant chinois devant le menu des mille sept-cents produits toxiques autorisés à être balancé sur les cultures de blé. Produits communément qualifiés de « produits phytosanitaires ». L’expression semble presque poétique mais cache en réalité des termes comme glyphosate et autres petits frères et cousins à fort potentiel cancérigène de la famille Monsanto. C’est vrai qu’avec « phyto » on se dit, même si on n’a pas fait grec ancien première langue, que ça sonne un peu comme si on prenait un complément alimentaire contre la chute des cheveux. Sans craindre une quelconque efficacité donc. Alors que, ne nous y trompons pas, un produit phytosanitaire c’est un produit de la famille des fongicides, herbicides, insecticides, etc… Bref un produit dont l’action est en cide. Comme dans génocide, féminicide ou infanticide. Qui tue donc.

Cela dit en matière de pesticides, pas de jaloux, la pomme n’est pas en reste. Pour préserver ta santé, tout le monde s’accorde à dire que mieux vaut l’éplucher avant de l’ingurgiter. Ce qui dans un sens est très dommage puisqu’à ce moment précis de l’histoire, tu viens de te priver d’une grande partie des fibres et des vitamines qui sont justement dans la peau du fruit. Rassurons-nous tout de même, des chercheurs se sont penchés sur cette épineuse problématique et ont conclu que l’idéal serait de tremper ta pomme pendant quinze minutes avant de la déguster, dans un mélange d’eau et de bicarbonate de soude pour la nettoyer d’une grande partie de ses fameux pesticides. Le bicarbonate de soude étant par ailleurs une véritable poudre à tout faire et pour ne pas gâcher, tu pourras faire tremper tes affaires de sport qui puent dans l’eau de rinçage de ta pomme. Et une fois que le bicarbonate en aura absorbé les odeurs, utilise la mixture restante pour nettoyer ton carrelage à grands coups de serpillière avant de boire le fond du seau pour améliorer ta digestion.

Cela dit pas de panique, cette méthode ne devrait pas faire long feu puisque la pomme est amenée à disparaître. En effet la pomme est cultivée en grande partie par pollinisation. Mais la pomme est traitée à grand coup de pesticides. Pesticides dont la grande « qualité » est d’accélérer le déclin des abeilles. Et donc le déclin de la pollinisation. Et donc le déclin de la pomme. Et comme le marché de la pomme en en pleine expansion autant dire que la pomme va s’éteindre très rapidement. Et que si tu ne te dépêches pas, tu vas bientôt te retrouver à préparer une pâte à rien.

Je t’épargne l’envie de te flageller après avoir saupoudré ta tarte, en ne te parlant pas des conditions de travail des ouvriers dans les champs de canne à sucre ni de la pollution dûe aux rejets des effluents dans l’eau lors du nettoyage des usines ni même de la consommation d’eau hallucinante que nécessite ces cultures et encore moins de l’addiction au sucre que tu pourrais développer. Ni du diabète ou du cancer de l’intestin qui pourrait se propager dans ton corps si tu continues à bouffer du sucre.

Tout ça pour dire qu’hier j’ai voulu préparer une tarte aux pommes pour apporter chez Guillaume mais que finalement j’ai apporté quatre pommes bio dans un sachet kraft. J’ai eu beau expliquer qu’ils devraient me remercier de ne pas saccager la planète et de ne pas m’être jetée corps et âme dans une aventure nocive pour l’environnement, j’ai bien vu que suis passée à leurs yeux pour une radine doublée d’une feignasse. La prochaine fois que je serais invitée, s’il y a une prochaine fois, je sais que ce n’est pas moi qui serai chargée du dessert et je pourrai alors me délecter d’une délicieuse tarte aux pommes concoctée par un ou une autre moins concerné.e par l’écologie que moi, que je mangerai jusqu’à la dernière miette sans aucune culpabilité parce que ce n’est pas moi qui l’ai faite et qu’il ne faut pas gâcher. C’est ça aussi être engagé·e pour la planète. 

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